En 1954, l’architecte autrichien Richard Neutra a publié son classique Survival Through Design, un livre visionnaire qui prévoyait les implications neurologiques de la conception. Neutra incitait les architectes à prendre conscience de l’influence considérable qu’ils exerçaient sur la psychophysiologie des occupants des bâtiments qu’ils concevaient et construisaient.
À une époque où le haut modernisme prônait les vertus d’une esthétique minimaliste avec des géométries abstraites et des volumes austères, Neutra mettait en garde contre la poursuite de paradigmes conceptuels dissociés des impératifs de notre biologie et de son lien essentiel avec les modèles trouvés dans les environnements naturels.
Dans l’un des passages les plus mémorables du livre, Neutra pose la question suivante : quelle est l’utilité d’un arbre ?

À l’époque, l’architecte avait dénoncé la tendance émergente consistant à diviser les questions de conception en questions d’utilité et d’esthétique. Selon lui, ces dernières devenaient rapidement accessoires par rapport à la seule préoccupation des grands projets commerciaux : le retour sur investissement (ROI). Neutra a posé sa fameuse question sur la valeur incommensurable de la beauté dans la conception architecturale, où elle ne devrait pas être considérée comme une bagatelle de l’ornementation.
Aujourd’hui, 70 ans après la mort de cet érudit de l’architecture et père du bioréalisme, terme qu’il a créé pour englober l’importance de la beauté de la nature et des géométries distinctes dans le design, sa question continue de résonner. En fait, ses idées, qui ont précédé de plusieurs décennies le mouvement du design biophilique, ont trouvé un point d’ancrage sûr dans un domaine qu’il a d’abord annoncé comme intrinsèque au design : les neurosciences cognitives.
La beauté dans l’œil du spectateur
Une nouvelle étude, The Nature Gaze, menée par l’université de Bangor et l’institut technologique Technion-Israël, pourrait bien avoir répondu à la célèbre question de Neutra en révélant que les citadins qui, au cours d’une promenade de 45 minutes en ville, ont porté leur attention sur les arbres et le feuillage plutôt que sur des structures construites par l’homme, en ont retiré d’importants bénéfices pour leur santé, notamment une réduction de l’anxiété et un sentiment plus généralisé de rétablissement mental et physique.

Le trio de chercheurs universitaires dirigé par le Dr Whitney Fleming, Brian Rizowy et Assaf Shwartz, qui a conçu l’étude, a demandé à 117 résidents urbains de faire une promenade simulée pour se rendre au travail et en revenir, dans une zone métropolitaine, tout en portant des lunettes de suivi du regard. Un groupe a reçu pour instruction de privilégier les éléments naturels verts tels que les lignes d’arbres et le feuillage pendant leur promenade ; un deuxième groupe a reçu pour instruction de passer son temps à regarder les éléments gris construits par l’homme tels que les maisons et les bâtiments, tandis qu’un troisième groupe a reçu pour instruction de partager son temps en dirigeant son attention visuelle entre les éléments verts et gris. 1
L’équipe de recherche a analysé les mouvements et les schémas oculaires des trois groupes après avoir effectué des mesures préalables et postérieures de la cognition, de l’affect, de l’anxiété et de la perception du bien-être. Les données ont révélé que le groupe qui passait plus de temps en contact visuel avec des feuillages, des arbres et des éléments naturels tels que des jardins bien entretenus et d’autres espaces verts faisait état d’une diminution de l’anxiété et d’un niveau de restauration plus élevé.
Les résultats, publiés dans la revue People and Nature, réaffirment des études empiriques antérieures qui ont régulièrement montré que l’exposition à des environnements naturels apporte des avantages psychologiques qui se traduisent par une plus grande restauration émotionnelle, avec moins de cas de tension, d’anxiété, de colère, de fatigue, de confusion et de perturbation totale de l’humeur que les environnements urbains présentant des caractéristiques limitées de la nature. 2

Nous sommes les arbres
Les effets physiologiques de l’exposition à la nature sont également bien documentés. Une étude notable tirée de The Economics of Biophilia, un livre blanc primé de Terrapin Bright Green, documente les données biométriques d’une promenade en forêt par rapport à une empreinte urbaine. En comparant le cortisol salivaire, la tension artérielle et le rythme cardiaque des sujets des deux groupes, l’équipe a révélé que les promeneurs en forêt avaient, en moyenne, un taux de cortisol salivaire, qui est une hormone de stress, inférieur de 13 à 15 % à celui des promeneurs urbains.
Les mesures les plus impressionnantes ont été les changements dans l’activité parasympathique et sympathique du système nerveux autonome (SNA), qui régule nos réactions de relaxation et de fuite ou d’envol. Les sujets exposés à la promenade en forêt ont eu une puissante réponse de relaxation autonome, mesurée par une augmentation de 56 % de l’activité parasympathique (relaxation), tandis que l’activité sympathique, qui augmente dans les situations de stress, a diminué de 19 %.3
Depuis plus d’un demi-siècle que Richard Neutra s’est demandé quelle était l’utilité d’un arbre, ses nombreux bienfaits pour la santé et le bien-être de l’homme, ainsi que pour l’écologie mondiale, ont été prouvés sans l’ombre d’un doute. Pourtant, le fait que “nous sommes les arbres”, pour reprendre les mots de la poétesse américaine Mary Colborne-Veel, qui dit “nous sommes les arbres, notre clairière sombre et feuillue, bordant la terre lumineuse de mystères plus doux”, doit renforcer la détermination de l’humanité, car le destin des arbres est aussi le nôtre. 4 Ainsi, au-delà des indices cognitifs que la technologie de suivi des yeux met en évidence, l’argument de Neutra selon lequel il est imprudent de séparer les questions d’utilité de la beauté profonde n’a jamais semblé aussi clair.
Fenêtres virtuelles lumineuses OpenView
Dans les grandes zones métropolitaines, il n’y a souvent que peu ou pas de vue sur les espaces verts tels que les parcs, les fronts de mer ou les boulevards bordés d’arbres dans les bâtiments situés en profondeur, comme les grands hôpitaux et les bâtiments commerciaux. En outre, le personnel passe la majeure partie de son temps de travail dans les espaces clos d’un bâtiment. Dans les situations où il n’est pas possible d’offrir les avantages réparateurs des lignes de vue biophiliques, les illusions biophiliques à grande échelle de la nature offrent une alternative fondée sur des preuves.

Les fenêtres virtuelles lumineuses OpenView offrent des scènes panoramiques à grande échelle d’environnements naturels qui imitent l’extraordinaire profondeur de champ de l’œil humain. L’utilisation d’un procédé photographique en profondeur permet de générer une image composite d’une richesse de détails remarquable. La vue ultra-réaliste résulte d’une séquence de photographies prises du même point de vue, d’abord centrées sur le premier plan, puis se déplaçant le long du champ de profondeur jusqu’à ce que l’arrière-plan profond soit le point de mire. Lorsque la série entière est fusionnée en une seule image à l’aide d’un logiciel de traitement, le résultat est un détail stupéfiant qui atteint une qualité artistique des plus vives lorsqu’il est éclairé à contre-jour à l’aide d’un éclairage calibré de qualité lumière du jour.
Références
1 Fleming, Whitney, Brian Rizowy et Assaf Shwartz. “The Nature Gaze : Eye-Tracking Experiment Reveals Well-being Benefits Derived from Directing Visual Attention Towards Elements of Nature”. People and Nature, vol. 6, no. 4, 2024, pp. 1469-1485. https://doi.org/10.1002/pan3.10648.
2 Terrapin Bright Green. 14 Modèles de conception biophilique : Améliorer la santé et le bien-être dans l’environnement bâti. P. 13, 2014. Consulté le 5 novembre 2024. https://www.terrapinbrightgreen.com/reports/14-patterns/
3 Terrapin Bright Green. L’économie de la biophilie : Why Designing with Nature in Mind Makes Financial Sense (L’économie de la biophilie : pourquoi concevoir avec la nature à l’esprit a du sens sur le plan financier). 2012. Consulté le 5 novembre 2024. https://www.terrapinbrightgreen.com/reports/economics-of-biophilia/
4 Mary Colborne-Veel, Le chant des arbres. Consulté le 4 novembre 2024. https://poets.org/poem/song-trees